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Le journal d'Herminien
25 août 2005

Social-démocratie assumée et à repenser

Je viens de lire les sept pages que Le Monde 2, supplément au numéro du Monde daté du 27 août 2005, consacre à l'analyse que fait Pascal Lamy de la situation du Parti socialiste, et de la gauche, après le référendum sur le traité constitutionnel européen et avant le congrès du PS. Rappelons que Pascal Lamy, militant du PS depuis 1969, est un jospino-deloriste, conseiller de Jacques Delors au ministère de l'Économie et des Finances, et du premier ministre, Pierre Mauroy, de 1981 à 1984, puis directeur de cabinet de Jacques Delors à la présidence de la Commission européenne de 1985 à 1994. Il a été commissaire européen au commerce international de 1999 à 2004 et doit prendre la direction générale de l'Organisation mondiale du commerce (OMC) le 1er septembre. De l'entretien de quatre pages qu'il consacre au journal, je ne retirerai pas un iota : je suis, tout simplement, entièrement d'accord avec l'ensemble de ses propos, qui sont l'exacte expression de ce que je pense et dis dans les conversations politiques que je tiens, ici et là. Il est vrai que, depuis 27 ans, j'assume mes convictions social-démocrates et européennes et mon delorisme. Quelques extraits : "Pour comprendre les difficultés de la social-démocratie française, il faut la resituer dans son environnement culturel et politique. On trouve trois spécificités à la culture politique française. D'abord, la sacralisation de l'État. Les Français investissent l'État de toute une charge de responsabilités publiques, alors que cette machine a pour le moment un rendement médiocre. Ensuite, la diabolisation de la notion de libéralisme. La preuve : nous n'arrivons pas à parler de libéralisme sans l'affubler des préfixes de "néo" ou d' "ultra", sans voir ce que la social-démocratie doit au libéralisme démocratique. Enfin, la faiblesse des forces syndicales. (...) Il y a aussi un formidable narcissisme : les Français parlent aux Français, se regardent en tant que Français et éprouvent une extrême difficulté à franchir ce miroir et à parler d'autre chose que de la France. Le dernier élément, de nature plus historique, est, à mon sens, le fond du problème. C'est l'attachement, à gauche, au thème de la rupture. Cette idée qu'il existe une avant-garde du prolétariat qui n'a pas à définir la vérité, puisqu' "elle a raison". Comme s'il allait de soi de faire l'économie du rapport à la vérité... Nous avons sans doute un côté messianique : à gauche, le pouvoir se prend par la gauche. Mais lorsque les socialistes sont au pouvoir, compte tenu de ce surplomb de la théorie de la rupture, le sentiment que "nous n'en faisons pas assez" s'impose. Car, quoi que l'on fasse, on ne fait pas la révolution". Plus loin, Pascal Lamy affirme : "La culture politique française est mal à l'aise avec l'idée de compromis, trop souvent connotée à la compromission. À l'intérieur de la gauche, cette inaptitude rejaillit sur le cœur même de la démarche social-démocrate, qui est fondée sur l'interrogation : quel type de compromis faisons-nous avec le capitalisme de marché ? Ces difficultés rejaillissent sur la construction européenne, car elle repose justement sur une régulation du capitalisme de marché par le compromis entre les intérêts en présence à partir d'un rapport de force donné." Sur la réponse idéologique à apporter à la crise de la pensée socialiste : "Le premier bout de la chaîne, c'est une analyse critique mais lucide du capitalisme de marché globalisé. Nous sommes dans une phase historique du capitalisme de marché : celle de la mondialisation, source de développement mais aussi de profondes inégalités. La relation capital-travail se joue à l'échelle mondiale, faisant pencher le rapport de force en faveur des détenteurs du capital. (...) Pour changer ce rapport de force inégal et déséquilibré, l'analyse critique social-démocrate française doit toutefois admettre une chose : le capitalisme de marché a ses défauts, mais tout ce que nous avons essayé de lui substituer depuis cent cinquante ans a échoué... Faire ce constat ne veut pas dire se résigner à un simple accompagnement du capitalisme. C'est se donner les moyens de le faire bouger de l'intérieur, en refusant la loi du plus fort ou du plus riche." À propos de l'État : "La spécificité française repose sur la disproportion entre le volume de l'État — au sens physique et symbolique du terme — et ce qu'il produit. Prenons le taux de prélèvements obligatoires. Certains pays, comme le Danemark, ont aussi un taux de prélèvements obligatoires qui dépasse 50 % du PNB, mais ils attribuent deux fois plus d'argent que nous à la recherche d'emploi pour les chômeurs. Nous avons les inconvénients des deux systèmes. Un très gros État, qui coûte très cher mais qui marche mal". À propos de la vision de l'Europe : "À mes yeux, l'Europe est à la mondialisation ce que le syndicalisme a été à la révolution industrielle du XIXe siècle. Nous devons résister aux violences du capitalisme de marché en l'encadrant. Pour cela, il n'y a pas trente-six solutions : il faut être fort, et donc à plusieurs. Et plusieurs à pousser dans le même sens plutôt que de défendre un soit-disant "intérêt national" de courte vue. (...) Mais attention : aussi valable que soit cette entreprise européenne, elle n'est pas la potion magique — parce que l'Europe n'est pas un État. Et les Français, là aussi, sont victimes du syndrome étatique. Ils ont tendance à considérer que construire l'Europe c'est construire un État européen, une "grande France" qui va régler les problèmes. C'est la raison pour laquelle, par exemple, j'ai toujours été réticent à utiliser la notion d' "Europe bouclier", d' "Europe protectrice", que ce soit durant la campagne pour Maastricht ou celle-ci. La vision qui est la bonne, à mon avis, est celle de l' "Europe levier". À propos de l'impuissance ou du mal français : "Les pays du Nord sont traditionnellement perçus comme plus civiques que les pays latins. Cette réputation n'est pas fausse. Elle se retrouve dans leur mode de vie, au niveau personnel comme collectif. En France, il y a un appel permanent à une symbolique républicaine nationale — égalité, liberté, fraternité — mais, dans les faits, c'est bien souvent le règne du "chacun pour soi". (...) Nous avons, depuis toujours, le culte de la loi comme instrument prédominant de la puissance publique et la culture de l'arbitrage comme mode d'élaboration et de représentation de la décision publique — l'arbitrage contre la coalition ou le consensus. Le système institutionnel s'apparente à un système pyramidal hiérarchisé, sacralisé, confiant la décision au chef plutôt qu'au système délibératif (...). Dans ce modèle, le compromis n'a pas de valeur". Voici bien des propos (je renvoie à l'entretien, bien plus long et argumenté) qu'il convient de méditer en ces temps de débats, à gauche. Plutôt que de s'enfermer dans une logique tacticienne ou d'essayer d'habiller de neuf — sous l'effet d'un complexe, d'une honte ou d'une identité mal assumée — les discours de la gauche révolutionnaire, qui ne sont que les vieux oripeaux d'un marxisme-léninisme dont on sait le tragique des résultats concrets et l'imposture intellectuelle de ses postulats idéologiques, reconstruisons un discours, une doctrine, un programme et des propositions de pratiques politiques à l'aune des enjeux à venir.
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