8 janvier 2006
Les oiseaux déguisés
"Je haie le mouvement qui déplace les lignes" a écrit Baudelaire. Moi aussi. Car les lignes sont une suite que le souffle de la pensée a ordonnée ; les lignes d'un texte, comme celles d'une série de textes, distribués au lecteur au fil des pages. Mais il y a aussi, entre les lignes, les silences, dont l'ordre importe. Les silences qui sont faits de choses qu'on n'a pas dites, les silences qui disent ce que "son histoire voile". C'est aussi pour cela qu'il ne faut pas que le mouvement déplace les lignes : pour ne pas déranger les interlignes.
Tous ceux qui parlent des merveilles
Leurs fables cachent des sanglots
Et les couleurs de leur oreille
Toujours à des plaintes pareilles
Donnent des larmes pour de l'eau
Le peintre assis devant sa toile
A-t-il jamais peint ce qu'il voit
Ce qu'il voit son histoire voile
Et ses ténèbres sont étoiles
Comme chanter change la voix
Ses secrets partout qu'il expose
Ce sont des oiseaux déguisés
Son regard embellit les choses
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont il est brisé
Ma vie au loin mon étrangère
Ce que je fus je l'ai quitté
Et les teintes d'aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d'une nuit d'été
Louis Aragon, extrait de "Tous ceux qui parlent des merveilles", dans Celui qui dit les choses sans rien dire.
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