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Le journal d'Herminien
10 mai 2007

Tropiques amers

Le premier épisode de Tropiques amers, téléfilm diffusé par France 3 ayant pour thème l'esclavage et la vie d'une habitation (l'exploitation sucrière dominée par la maison du planteur) à la Martinique, entre 1788 et 1810, m'a forcément ému : il y est question d'une histoire qui est celle de mes ancêtres. La reconstitution est assez fidèle, malgré quelques inventions (les cages à l'arrivée des bateaux négriers, les "nègres marrons" [c'est-à-dire les esclaves qui se sont enfuis] avec des sagaies..., la perspective, dans les épisodes suivants, d'une révolte généralisée des esclaves, qui n'eut pas lieu en Martinique). Mais beaucoup du reste apparaît comme une restitution romancée mais assez réaliste des conditions de vie, de travail et d'habitat des esclaves comme des békés (les blancs créoles), que ponctue l'utilisation par les domestiques noirs de cette langue créole que les békés comprennent et parlent aussi (ce dernier point n'est pas montré dans le premier épisode). Le devoir de mémoire auquel participe ce téléfilm ne résulte pas d'un désir de repentance, mais d'exposition d'une situation par l'entremise d'une saga dramatique. On y évoque les relations ambiguës et inégales entre un maître et une de ses esclaves. À ce propos, mon éditeur a censuré un texte, extrait d'un ouvrage universitaire, dans un manuel que je dirige, destiné à des élèves de lycée, dans lequel il était précisé qu'une partie du métissage aux Antilles résultait de viols ou de relations sexuelles contraintes exercées par les maîtres, parce que cela pouvait choquer. Ce fut un sujet de fâcherie. Il reste donc encore beaucoup de résistances à vaincre. Je n'ai, pour ma part, pas de honte à dire que je descends de ce type de relation qui a conduit mon arrière-arrière-grand-père à être affranchi à sa naissance et à devenir commandeur d'une plantation. C'est un fait. Et les hiérarchies de couleurs qui imprègnent encore, en dépit du syncrétisme et du métissage, une partie des mentalités antillaises sont un triste leg de l'esclavage. Ma grand-mère paternelle, à la peau claire et aux yeux gris-verts, ne s'était-elle pas esclaffée, peu après que je fus né : "Fout-i nwè !" ("ce qu'il est noir"). Assumer le passé et ses heures d'ombre comme j'assume ma négritude, sans faire porter sur un État intemporel ou sur les générations actuelles les responsabilités antérieures, pour éclairer et vivre ensemble dans la reconnaissance et l'interconnaissance : c'est ce devoir de mémoire-là que je revendique, pas autre chose. 20070510_84509645046438dbd6f53c Une maison d'esclave. Reconstitution à la "Savane des esclaves" aux Trois-Îlets (Martinique)
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