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Le journal d'Herminien
6 octobre 2008

Hugo Chavez ou le socialisme du flou

J'ai lu et apprécié ce portrait d'Hugo Chavez, le président vénézuélien, loin des dithyrambes comme des charges faciles de ceux qui espèrent en un statu quo ante, pro-états-unien, en Amérique latine. De quoi changer des hagiographies écrites par une certaine gauche et des caricatures de la droite conservatrice.
chavez
« En 2004, au beau milieu d’un dithyrambe à la gloire de la révolution bolivarienne du Venezuela, le prêtre et poète nicaraguayen Ernesto Cardenal, ancien ministre du gouvernement sandiniste, laissait échapper cet étrange aveu : « À la différence de Fidel, Chavez parle beaucoup de Dieu et du Christ dans ses discours. Il cite fréquemment les Évangiles, et ses citations sont parfois inventées, il met dans la bouche de Jésus des propos que celui-ci n’a pas tenus, même s’ils restent dans l’esprit de son enseignement. » Il n’est guère de caractérisation plus pertinente du personnage Chavez et de l’atmosphère de son régime, entre messianisme révolutionnaire, mythomanie et auto-parodie, le tout atténué par le pragmatisme parfois assez inattendu d’un leader qui prétend incarner la lutte radicale contre l’« Empire » alors même que son pays est intiment lié aux États-Unis par un flux irrésistible de commerce pétrolier (Washington achète plus de la moitié de la production vénézuélienne) et d’émulation consumériste. Bric-à-brac idéologique Né en 1954 dans la modeste et nombreuse famille d’un couple d’instituteurs démocrates-chrétiens de l’État de Barinas, Hugo Rafael Chavez Frías a vécu une enfance provinciale simple mais heureuse auprès de sa grand-mère paternelle. Au cours de sa jeunesse, il subit l’influence du petit milieu communiste local sans pour autant jamais se compromettre dans une militance active. Fasciné par le base-ball et tenté par une carrière sportive, il finit par entrer dans l’armée où, dans les années 1970 et 1980, en même temps qu’il se découvre un goût marqué pour le spectacle et la communication – il collabore sous l’uniforme à des expériences de théâtre aux armées et de production radiophonique –, il participe aux contacts entre divers cercles de jeunes officiers et certains secteurs de la gauche radicale. C’est dans cette ambiance conspiratrice qu’il prépare la tentative de coup d’État de février 1992 contre le président Carlos Andrés Pérez, au nom de la justice sociale et de la lutte contre la corruption. Amnistié en 1994, il accède au pouvoir fin 1998 à la tête d’une coalition de petits partis de gauche alliés à son propre mouvement, le MVR (Mouvement pour la Ve République). L’identité politique du lieutenant-colonel vénézuélien n’est ni évidente ni transparente, et son bagage idéologique est d’un éclectisme parfois troublant. Dans les années 1990, il s’est laissé séduire par le nationalisme anti-impérialiste exacerbé de Norberto Ceresole, un intellectuel argentin antisémite qui prônait une sorte de nasséro-péronisme autoritaire et « post-démocratique » – selon ses propres termes – fondé sur la pyramide caudillo-armée-peuple. Au début de son mandat, Chavez invoquait à tout bout de champ L’Oracle du guerrier, un manuel de sagesse new age digne de la littérature de Paulo Coelho écrit par un autre Argentin, Lucas Estrella. Plus récemment, il s’est employé à faire partager son enthousiasme pour Les Misérables, de Victor Hugo, qu’il considère comme l’une des sources de son « socialisme du XXIe siècle ». Jadis admirateur déclaré de la troisième voie de Tony Blair, qu’il voue désormais aux gémonies, il profite souvent de ses visites à l’étranger pour multiplier les professions de foi les plus hétéroclites, se déclarant volontiers castriste à Cuba, maoïste en Chine ou admirateur du Livre vert de Kadhafi en Libye. D’aucuns voient en lui un opportuniste cynique obsédé par le pouvoir et totalement dépourvu de véritables convictions. Pourtant, Chavez est sans doute sincère quand il manifeste que son cœur saigne pour les pauvres, d’autant plus qu’il se perçoit lui-même comme un petit provincial plébéien et « zambo » (c’est-à-dire porteur d’un phénotype afro-indien) rejeté par l’oligarchie et « la gente bien », les gens censément respectables.
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Au moins jusqu’en 2006, la majorité des pauvres lui rendaient bien cette affection, mais on aurait tort d’y voir une adulation aveugle. Le rapport intense qu’une bonne partie des milieux populaires entretient avec lui est « plus érotique que religieux », explique l’ancien ministre Roland Denis, aujourd’hui dissident de gauche au « chavisme ». Plus que d’un culte de la personnalité institutionnalisé, il s’agit d’une co-identification enracinée au plus profond de l’ethos populaire vénézuélien. Orateur intarissable et formidable showman qui parsème ses discours de chansons, de plaisanteries et d’anecdotes, Chavez alterne le lyrisme patriotico-révolutionnaire et la gouaille de gavroche tropical, communiant avec le peuple à travers un registre émotionnel bigarré et un chaleureux langage du corps. Un capitalisme d’État rentier et gaspilleur Hugo Chavez n’est pas un « dictateur » : comme l’admet le journaliste d’opposition Fausto Masó, « [il] a gouverné en faisant peur aux Vénézuéliens sans fusiller aucun adversaire ni fermer un seul journal ». Tous les Vénézuéliens sont d’ailleurs loin de le craindre, puisqu’il a été constamment réélu depuis 1998 par une majorité des suffrages exprimés. Le décrire comme un « populiste autoritaire » ne nous dit pas grand-chose sur la nature concrète de son régime. L’état de la démocratie au Venezuela est bien meilleur que ne le dit parfois l’opposition, mais bien plus problématique que ne l’affirment les adeptes du nouveau messie caribéen. Et, non, Chavez ne fait pas vraiment la « révolution », du moins pas dans un sens autre que métaphorique ou, peut-être, culturel. Le Venezuela vivait hier sous l’égide d’un capitalisme d’État rentier et gaspilleur ; il en est de même aujourd’hui. Et les perspectives du fameux « socialisme du XXIe siècle » sont pour le moins nébuleuses. Quant au charisme, il a ses limites. Entre le début 2005 et la fin 2006, tous les sondages concordaient : le président vénézuélien jouissait d’un taux d’approbation constamment supérieur à 50 %, tandis que son équipe gouvernementale était rejetée par 60 % à 70 % de la population en raison de sa médiocrité humaine et gestionnaire. Le mythe médiéval du bon roi et de ses mauvais ministres était omniprésent : « Chavez est mal entouré, il ne connaît pas la vérité, on lui ment, etc. » Cette confiance inconditionnelle n’est plus de mise. Au sein même du Parti socialiste uni du Venezuela (PSUV) – qui a remplacé le MVR –, des voix s’élèvent ouvertement contre les abus du leader : un député bolivarien rebelle exige du comandante qu’il respecte la « critique révolutionnaire » s’il veut lui-même être respecté ; un autre n’hésite pas à dénoncer le népotisme et la corruption de la famille Chavez dans l’État de Barinas, dont le père du président est gouverneur. Le maire « chaviste » de Caracas avoue publiquement que « la révolution montre des signes d’épuisement » et, au détour d’un discours, Hugo Chavez en personne concède que « l’inefficacité [du gouvernement] est plus dangereuse que l’Empire nord-américain ». Cette inefficacité se traduit, entre autres, par la gestion chaotique et les rendements décroissants des programmes sociaux (les « missions bolivariennes ») qui avaient tant fait pour la résurrection de Chavez après la première phase critique de son mandat, entre fin 2001 et fin 2003. Or le peuple n’accuse plus seulement aujourd’hui son entourage. À la fin du premier trimestre 2008, d’après plusieurs instituts de sondage, le taux d’approbation du président oscillait autour de 35 % : un socle de popularité encore substantiel, mais en net déclin.
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La fin de l’invincibilité Hugo Chavez est un formidable animal politique qui a survécu à un coup d’État en avril 2002, à une virulente grève patronale et pétrolière pendant l’hiver 2002-2003, au référendum révocatoire d’août 2004 et aux manœuvres de déstabilisation permanentes de Washington. Outre les prix vertigineux du pétrole et la médiocrité de ses adversaires, sa capacité de créer l’événement et de monopoliser l’attention des médias peut lui assurer quelques retours de fortune. Mais le charme de son apparente invincibilité a été rompu par sa défaite lors du référendum sur la réforme constitutionnelle du 2 décembre 2007. Le peuple a alors rejeté sa version du « socialisme ». Le mandat présidentiel, que le projet de réforme semblait vouer à une durée indéfiniment extensible, a désormais une date de péremption (2012). Et Chavez ne peut plus guère attribuer ses échecs ou ses déboires à ses « mauvais ministres ». Aux yeux mêmes d’une fraction croissante de sa base populaire, qui s’est massivement abstenue en décembre 2007, le bon roi est nu. » Marc Saint-Upéry, dans L’état du monde 2009, sous la direction de Bertrand Badie et Sandrine Tolotti, La Découverte, 2008
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