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Le journal d'Herminien
13 mars 2010

Jean Ferrat : épilogue

Mon premier contact avec Jean Ferrat fut ce disque 45 tours de quatre chansons que mes parents ne cessaient d'écouter... Ainsi, avec Nuit et brouillard, j'appris très tôt une page de l'histoire – sans d'ailleurs savoir, à l'âge que j'avais alors, que Tenenbaum était le vrai patronyme de Jean Ferrat, dont le père était mort déporté à Auschwitz – et avec C'est beau la vie je découvris un hymne et un superbe gage d'amitié offert à Isabelle Aubret, qui avait eu un grave accident de voiture.

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À Brassens était un hommage à l'autre grand chanteur français dont je fis progressivement la connaissance. Nous dormirons ensemble me marqua à tel point qu'un certain K s'en souvient sans doute encore... ;-)

On a tout dit ou presque, depuis cette fin d'après-midi, sur l'engagement de Ferrat (Ma France m'émeut toujours autant, et, socialiste, j'ai répété maintes fois les paroles de J'imagine), son amour des poètes qui l'a fait rendre hommage à Llorca et chanté Aragon. Car c'est par Ferrat que, adolescent, je découvris les poèmes d'Aragon et eus envie d'aller plus loin, de lire aussi ses romans. À la différence d'Aragon, Ferrat était sans doute plus lucide ou plus honnête dans ses engagements, et j'ai d'ailleurs apprécié qu'il dénonce l'intervention des troupes du Pacte de Varsovie à Prague (dans Camarade) ou le fameux "bilan globalement positif" que Georges Marchais fit du communisme en URSS et en Europe centrale.

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Je suis triste, ce soir. J'attends un autre jour pour écouter ses chansons.

Je laisse ici, sur ce blog, les extraits de quelques-unes des chansons qu'il a écrites ou chantées, sauf pour Nuit et brouillard, qui avait été déconseillée à la radio – ce qui n'a pas empêché son succès –  et que je reproduis intégralement.


NUIT ET BROUILLARD

Ils étaient vingt et cent, ils étaient des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiraient la nuit de leurs ongles battants
Ils étaient des milliers, ils étaient vingt et cent.

Ils se croyaient des hommes, n'étaient plus que des nombres
Depuis longtemps leurs dés avaient été jetés
Dès que la main retombe il ne reste qu'une ombre
Ils ne devaient jamais plus revoir un été.

La fuite monotone et sans hâte du temps
Survivre encore un jour, une heure, obstinément
Combien de tours de roues, d'arrêts et de départs
Qui n'en finissaient pas de distiller l'espoir.

Ils s'appelaient Jean-Pierre, Natacha ou Samuel
Certains priaient Jésus, Jéhovah ou Vichnou
D'autres ne priaient pas, mais qu'importe le ciel
Ils voulaient simplement ne plus vivre à genoux.

Ils n'arrivaient pas tous à la fin du voyage
Ceux qui sont revenus peuvent-ils être heureux
Ils essaient d'oublier, étonnés qu'à leur âge
Les veines de leurs bras soient devenues si bleues.

Les Allemands guettaient du haut des miradors
La lune se taisait comme vous vous taisiez
En regardant au loin, en regardant dehors
Votre chair était tendre à leurs chiens policiers.

On me dit à présent que ces mots n'ont plus cours
Qu'il vaut mieux ne chanter que des chansons d'amour
Que le sang sèche vite en entrant dans l'histoire
Et qu'il ne sert à rien de prendre une guitare.

Mais qui donc est de taille à pouvoir m'arrêter ?
L'ombre s'est faite humaine, aujourd'hui c'est l'été
Je twisterais les mots s'il fallait les twister
Pour qu'un jour les enfants sachent qui vous étiez.

Vous étiez vingt et cent, vous étiez des milliers
Nus et maigres, tremblants, dans ces wagons plombés
Qui déchiriez la nuit de vos ongles battants
Vous étiez des milliers, vous étiez vingt et cent.

JE VOUS AIME (extraits)

Pour la lampe déjà éteinte
et la première de vos plaintes
la porte à peine refermée.

Pour vos dessous qui s'éparpillent
comme des grappes de jonquilles
aux quatre coins du lit semés.

Pour vos yeux de vague mourante,
pour ce désir qui s'impatiente
aux pointes de vos seins levées

Je vous aime, je vous aime.


J'IMAGINE (extraits)

J'imagine
La révolte prêchée par quelque douce femme
Deux mille ans de prison dévorés par les flammes
J'imagine
L'amour faisant l'amour la vie faisant le reste
Une révolution sans un mot sans un geste

Et la grande liberté
Au poing la rose
Et la grande liberté
La rose au poing
Et la grande liberté
La rose au poing.


Et, évidemment, quelques extraits de poèmes d'Aragon que Ferrat mit en musique :

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HEUREUX CELUI QUI MEURT D'AIMER (extraits)

Ô mon jardin d'eau fraîche et d'ombre
Ma danse d'être mon cœur sombre
Mon ciel des étoiles sans nombre
Ma barque au loin douce à ramer
Heureux celui qui devient sourd
Au chant s'il n'est de son amour
Aveugle au jour d'après son jour
Ses yeux sur toi seule fermés

Heureux celui qui meurt d'aimer
Heureux celui qui meurt d'aimer.


C'EST SI PEU DIRE QUE JE T'AIME (extraits)

Comme une étoffe déchirée
On vit ensemble séparés
Dans mes bras je te tiens absente
Et la blessure de durer
Faut-il si profond qu'on la sente
Quand le ciel nous est mesuré
C'est si peu dire que je t'aime.

(...)
Lorsque les choses plus ne sont
Qu'un souvenir de leur frisson
Un écho de musique morte
Demeure la douleur du son
Qui plus s'éteint plus devient forte
C'est peu, des mots pour la chanson
C'est si peu dire que je t'aime
Et je n'aurai dit que je t'aime.

LES OISEAUX DÉGUISÉS

Tous ceux qui parlent des merveilles
Leurs fables cachent des sanglots
Et les couleurs de leur oreille
Toujours à des plaintes pareilles
Donnent leurs larmes pour de l'eau

Le peintre assis devant sa toile
A-t-il jamais peint ce qu'il voit
Ce qu'il voit son histoire voile
Et ses ténèbres sont étoiles
Comme chanter change la voix

Ses secrets partout qu'il expose
Ce sont des oiseaux déguisés
Son regard embellit les choses
Et les gens prennent pour des roses
La douleur dont il est brisé

Ma vie au loin mon étrangère
Ce que je fus je l'ai quitté
Et les teintes d'aimer changèrent
Comme roussit dans les fougères
Le songe d'une nuit d'été

Automne automne long automne
Comme le cri du vitrier
De rue en rue et je chantonne
Un air dont lentement s'étonne
Celui qui ne sait plus prier.


Et, pour finir, ces derniers vers du dernier album consacré aux poèmes d'Aragon, où Jean Ferrat chante, la voix un peu éraillée, cet Épilogue. Tout est là.

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J'écrirai ces vers à bras grands ouverts qu'on sente mon cœur quatre fois y battre
Quitte à en mourir je dépasserai ma gorge et ma voix mon souffle et mon chant
Je suis le faucheur ivre de faucher qu'on voit dévaster sa vie et son champ

Et tout haletant du temps qu'il y perd qui bat et rebat sa faux comme plâtre.

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