A* (III)

A* m’attendait à la table d’un petit restaurant de son quartier. Nous avions maintenu le dîner dont la date avait été fixée au téléphone l’avant-veille, bien qu’une heureuse fortune nous eût permis de nous retrouver, entre temps, le soir même où nous avions repoussé notre envie de nous voir, répondant ainsi à nos désirs inavoués. Sous la serviette posée dans mon assiette, je remarquai le livre oublié. Je m’en saisis et, après l’avoir ouvert, y lus une dédicace : « À D*, pour le hasard d’une rencontre, entre un dîner manqué et un livre oublié… ». Il faisait chaud. C’était l’une de ces belles soirées d’été comme je n’en avais pas encore beaucoup vécues au cours de cette année, hormis un autre dîner, à Amsterdam, en compagnie d’un Espagnol, professeur d’anglais, avec lequel j’avais noué une amitié. Une nouvelle fois, nous partageâmes les plats, le pain et le vin. Ce fut notre troisième cène. La conversation fut légère, rythmée par la narration de souvenirs d’enfance, celle de A* dans sa Sicile natale, la mienne dans le vieux Menton de mes premiers cris et de mes premiers pas, puis par la confrontation de nos goûts cinématographiques. Ce fut presque frustrant de n’avoir pas beaucoup de désaccords, sauf à propos de Nani Moretti, lui comme moi-même ayant plutôt plaisir à prendre part à la disputatio, à la controverse. Je ne voulus pas que nous prolongions plus loin notre soirée. Je souhaitais garder le souvenir de ce simple dîner, du plaisir d’être ensemble, assis l’un en face de l’autre, à nous raconter, à nous sourire, à sentir se poser sur nous le regard bienveillant des autres personnes attablées. Nous nous quittâmes sur une promesse de séance de cinéma et d’invitation à un repas que j’aurais préparé chez moi. Ce fut alors que nous comprîmes la douceur de demeurer libres, ensemble.

N.B. : c'est en pensant à ce dîner que j'ai adressé ce skolion (voir 13 août 2005).