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Le journal d'Herminien
9 février 2006

La librairie disparaît

Place de la Sorbonne, la librairie ferme définitivement ses portes. C'est comme une blessure de plus faite au Quartier Latin ; c'est comme un assèchement supplémentaire du terrain de la connaissance, comme la forêt des lettres imprimées qu'on éclaircit toujours plus. Elle sera remplacée par une boutique de vêtements ordinaire. L’ancienne librairie des Presses Universitaires de France avait été sauvée, il y a quelques années, par le combat mené par ses salariés et celui des clients, professeurs et étudiants, pour l’essentiel. La mairie de Paris était aussi intervenue, s’engageant à user de son droit de préemption pour empêcher que la destination du fonds de commerce ne change de nature. La librairie avait alors été reprise par Joseph Gibert, qui avait promis de maintenir son caractère universitaire. Toutefois, les rayons furent modifiés et s’allégèrent, dans ce qui était devenu « L’Univers du Livre ». Il y a un an et demi, Joseph Gibert céda le fonds et les murs à une autre librairie parisienne, qui changea l’enseigne en « Place de la Sorbonne ». Le rayon « Histoire et Géographie », dont j’étais un habitué depuis mes études à la Sorbonne, maintint sa qualité. Pour le géographe que je suis, c’était la seule place de Paris où l’on pouvait découvrir les nouveautés les plus pointues, tout trouver, tout commander… Les pertes financières étaient trop lourdes. Les étudiants ne lisent ni n’achètent plus guère de livres, qui sont de plus en plus chers, d’où le recours massif à la photocopie et aux ressources d’Internet. Ces dernières ne remplacent cependant pas l’usage dont on peut faire d’un vrai livre. Même Joseph Gibert a vu son chiffre d’affaires diminuer de 6 % au cours du dernier semestre. Les librairies et les éditeurs quittent un à un le Quartier Latin et Saint-Germain-des-Prés, après les cinémas et les bons cafés. Il fut un temps, il y a dix ans de cela, où je pouvais encore boire l’excellent chocolat, servi à partir de cacao fondu qu’on versait dans votre tasse avant d’y ajouter le lait, au Select Latin, dans l’angle de la rue des Écoles et du boulevard Saint-Michel, ou encore au Café de Cluny, dans l’angle du boulevard Saint-Germain et du boulevard Saint-Michel. Voilà, cet article apparaît sans doute comme celui d’un nostalgique, plein d’amertume. C’est aussi celui d’un inquiet, qui voit le livre menacé car, derrière l’inflation des titres que la course au profit immédiat et les moyens techniques favorisent, se profilent en réalité l’extension de la médiocrité, l’abandon du conseil averti, donné de bouche à oreilles par celui qui a vraiment lu, la fin de certaines formes de commerce où la sociabilité et la connaissance pouvaient prévaloir. C’est aussi mon fétichisme pour les livres, mon tropisme pour les librairies, dans lesquelles j’entre à chaque fois comme dans un univers féerique et fantasmagorique du rêve et de la connaissance, qui est atteint et bridé, une nouvelle fois.
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